Missika et Wolton signaient un livre d'entretien avec Raymond Aron "Le spectateur Engagé" il y a plus de 40 ans, pour, entre autres, tenter de dénouer les fils du paradoxe suivant : assister au spectacle de l'Histoire... et par ailleurs pouvoir ou devoir y prendre une part tangible. Le statut du photographe pose la même question depuis Robert Capa et même avant, sujet encore creusé par le photojournalisme impliqué de Raymond Depardon.
Robert Capa par Gerda Taro
Peut-on être présent sur un lieu pour en capter les images, rendre compte d'une réalité et par ailleurs considérer qu'on ne peut vraiment y prendre part au nom de l'objectivité supposée de la fonction. Bien sûr, il revient à chaque professionnel de choisir son option. Bon nombre de ceux qui ont voulu suivre l'illusion de l'objectivité absolue ont toutefois fini par se casser les dents sur leur propre doctrine, ayant en fin de compte à choisir entre l'indifférence ou l'empathie avec tel ou tel protagoniste des scènes photographiées. Pour ce qui me concerne, le fait d'être présent pour photographier une scène nous implique peu ou prou, c'est un ressenti plus qu'une opinion. Mon sentiment a été conforté par les recherches scientifiques conduites sur l'attitude différenciée des organismes vivants objets d'expériences, selon qu'on les filme ou selon qu'on laisse les processus opérer en dehors de l'objectif d'un enregistreur. Le verdict est tombé : il y a indéniablement de remarquables effets induits par l'observation et l'observation filmée ! Dès lors, la notion-même "d'effacement de l'observateur" est tranchée. Après, que l'on filme une manifestation ou les ébats d'un couple de faucons crécerelles, le fait d'éviter d'être intrusif ou effrayant ressort bien sûr comme une évidence éthique. Il me semble que les photographes sont donc soumis aux errements de cette posture un peu aléatoire de spectateur engagé... Le débat reste ouvert et dans un monde qui veut souvent vivre avec l'illusion de la certitude, ce n'est peut-être pas si mal !
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